ENMI 2022 - Organisation du Vivant, Organologie des Savoirs : Technodiversité, biodiversité, noodiversité : nouveaux régimes de l’habiter
Pour repenser l’anthropos à lumière de l’entropocène, nous proposons de revenir aux racines philosophiques et historiques ou, en d’autres termes, à une épistémologie historique qui permette d’exercer une critique de l’alliance qui s’est construite, au cours d’un siècle et à partir d’une pensée scientifique emprise de mécanicisme, entre un nouveau scientisme, la technoscience du numérique, et les formes contemporaines de la gouvernance. En s’appuyant sur des notions floues d’information et de programme génétiques, aux conséquences fortes, on a produit une technoscience qui déborde aujourd’hui sur le vivant. Dans le même temps, les développements technologiques issus des révolutions industrielles successives désorganisent profondément le vivant, conduisant à ce qui est couramment appelé la sixième extinction de masse de l’histoire de la Terre, appelant une réforme du rapport entre technologie et vivant.
De nombreuses études critiques font état du rôle politique des nouvelles technologies du numérique, dans ses deux développements les plus importants, l’informatique et l’intelligence artificielle, et dans leurs conséquences pour la compréhension du vivant. Les réseaux informatiques permettent une centralisation nouvelle de l’information, voire la gestion des activités humaines par des monopoles privés et par des gouvernements aux ambitions autoritaires croissantes. Des machines nous reconnaissent et nous suivent, proposent des réponses à des questions mal posées, en raison du formatage programmé qui précède et canalise nos pensées, nos actions et nos désirs. Numérique et biologique constituent aujourd’hui le nouveau milieu noétique dont nous devons prendre soin.
Pour repenser l’anthropos à lumière de l’entropocène, nous proposons de revenir aux racines philosophiques et historiques ou, en d’autres termes, à une épistémologie historique qui permette d’exercer une critique de l’alliance qui s’est construite, au cours d’un siècle et à partir d’une pensée scientifique emprise de mécanicisme, entre un nouveau scientisme, la technoscience du numérique, et les formes contemporaines de la gouvernance. En s’appuyant sur des notions floues d’information et de programme génétiques, aux conséquences fortes, on a produit une technoscience qui déborde aujourd’hui sur le vivant. Dans le même temps, les développements technologiques issus des révolutions industrielles successives désorganisent profondément le vivant, conduisant à ce qui est couramment appelé la sixième extinction de masse de l’histoire de la Terre, appelant une réforme du rapport entre technologie et vivant.
De nombreuses études critiques font état du rôle politique des nouvelles technologies du numérique, dans ses deux développements les plus importants, l’informatique et l’intelligence artificielle, et dans leurs conséquences pour la compréhension du vivant. Les réseaux informatiques permettent une centralisation nouvelle de l’information, voire la gestion des activités humaines par des monopoles privés et par des gouvernements aux ambitions autoritaires croissantes. Des machines nous reconnaissent et nous suivent, proposent des réponses à des questions mal posées, en raison du formatage programmé qui précède et canalise nos pensées, nos actions et nos désirs. Numérique et biologique constituent aujourd’hui le nouveau milieu noétique dont nous devons prendre soin.
Le numérique réduit progressivement le langage à du code : les programmes qui pilotent les machines sont des systèmes d’écriture où des suites de signes associent des suites de signes à d’autres suites de signes, qui réduisent tout à de l’écriture alphabétique, si nécessaire codé par des 0/1 et qui s’applique à présent aussi à l’écriture du vivant.
Depuis les séminaires de Derrida du début des années 1970 et jusqu’à nos jours (Judith Roof’s Poetics of DNA, 2007), on considère volontiers l’ADN et le langage humain comme des alphabets distincts mais parallèles impliqués dans l’écriture de la vie. Mais la métaphore de l’écriture est à la fois poussée jusqu’au non-sens et révélatrice d’un anthropocentrisme résiduel. La suspicion nécessaire à l’égard de la “vie comme écriture” est préfigurée dans l’œuvre de Bernard Stiegler et s’accentue au cours de son développement. L’une de ses idées les plus anciennes et les plus profondes – également partagée et ensuite réitérée par d’autres, dont Catherine Malabou – est que l’écriture n’est qu’une branche de la technique, et pas nécessairement une forme privilégiée de celle-ci. Pour Stiegler, les technologies n’écrivent pas, mais plutôt grammatisent les corps, en les soumettant à des normes de dé- et de re-fonctionnalisation. Par ce biais elles ont un rôle clé dans l’organisation de la vie organique et exorganique.
Que faire face à ces transferts idéologiques de concepts qui imposent des règles formelles sur le réel et qui nous obligent à les suivre, faute de quoi nous serions exclus du monde à un moment où nous pouvons moins que jamais nous le permettre
Notre réponse propose un parcours alternatif : pour nous « humains », la construction du sens est indissociable des modalités de la présence de nos corps dans l’espace, de l’organisme dans l’écosystème, de l’écosystème dans l’évolution, et de notre humanité dans l’histoire. Le tout, dans la ‘‘radicale matérialité’’ du biologique : nous sommes faits de cette chimie, de cette chair vivante, de ces cellules, et pas d’autres. Au contraire, chez Turing : les instructions, le programme et leur écriture sont mobiles et indépendants de leur implantation matérielle. Dans ce contexte, la perte du sens de la « localité » et « matérialité » du vivant est alors à son comble.
Nous proposons donc de partir du constat que nul vivant n’existe sans ses membranes, son ADN, son ARN, sa physico-chimie et sa dimensionnalité spécifique. Nul cerveau n’existe sans ses cellules neuronales vivantes, toujours actives, sans leurs membranes, leur chimie, se déformant même par leur champ électrostatique, sans leurs connexions mouvantes, sans leur plasticité organique, qui dépasse le corps biologique dans l’espace d’un écosystème. Contre le tout alpha-numérique de l’Intelligence Artificielle, de la biologie du programme et de l’information génétique, il faut reconquérir le sens du corps, de son espace et de sa radicale matérialité biologique. Nous le ferons en passant par les formes de l’imaginaire humain, en croisant les disciplines pour penser l’organisation du vivant avec l’organologie des savoirs.
Session 1 : Disruption & soin du vivant
Animée par par Mael Montévil (ENS-CNRS)
Canguilhem abordait dans sa thèse les infidélités du milieu auxquelles sont confrontés les êtres vivants, en quelque sorte dans leur vie ordinaire. Mais dans l’Anthropocène ces infidélités sont décrites par les scientifiques comme des disruptions : disruptions des écosystèmes par le changement climatique, disruption des régulations hormonales par les perturbateurs endocriniens, disruption de la relation parent-enfant par l’irruption des smartphones et des tablettes, … Cette accumulation plonge le vivant dans la disruption – en étendant ici le concept de Bernard Stiegler au vivant en général – , et la disruption conduit à une extinction de masse pour le vivant non-humain, et au déclin des capacités des vivants humains (fertilité, QI, langage, attention, …) .
Comment prendre soin du vivant dans la disruption ?
Jeudi 15 décembre – 10h00-12h30
10h00-10h30 : Maël Montévil (théoricien de la biologie)
10h30-11h00 : Ana Soto (biologiste)
11h00-11h30 : Marie-Claude Bossière (pédopsychiatre) et Hakima Yakouben (parent ambassadrice)
11h30-12h00 : Manuel Blouin (agroécologie)
12h00-12h30 : Discussion
Session 2 : Extinction / Diversité
Animée par Giuseppe Longo (ENS-CNRS-AAGT)
L’analyse phylogénétique du vivant se propose d’ordonner a posteriori dans le temps les apparitions des différents traits partagés entre espèces. Les corps biologiques sont des mosaïques historiques dont les pièces ont été assemblées (ou perdues) de manière contingente, sous les contraintes des environnements passés et en relation avec les autres membres des divers écosystèmes. Nul programme, nulle destinée ne gouverne le déploiement évolutif de la biodiversité. Il en va de même pour le changement des écosystèmes, et pour le développement embryonnaire qui est en lui-même un phénomène évolutif. En particulier, il est primordial de saisir que les espèces qui s’éteignent ne se réduisent pas à quelques chiffres ou à des spécimens figés pour l’éternité au fond de collections muséales. Le phénomène d’extinction se décline par degrés et dans une pluralité de processus « zombies » qui persistent au niveau des dynamiques écologiques et évolutives. Sans oublier que la perspective d’extinction interroge notre rapport à la nature à travers ce que l’on nomme les « extinctions studies » et notre propre angoisse face aux risques d’effondrement sociaux et humains, par rapport à laquelle nous essayerons de réfléchir à l’urgence actuelle et réelle de la crise de la biodiversité.
Jeudi 15 décembre – 14h00-16h30
14h00-14h30 : Guillaume Lecointre (chercheur en systématique)
14h30-15h00 : Julien Delord (agronome)
15h00-15h30 : Giuseppe Longo (mathématiques et biologie)
15h30-16h15 : Discussion
16h30-17h00 : Invité d’honneur
Alain Damasio (écrivain) en entretien avec Ariel Kyrou et Maël Montévil.
Présentations artistiques et pédagogiques du programme NEST (projet Archipel des vivants)
Coordination : Noël Fitzpatrick et Glenn Loughran (TU Dublin)
Jeudi 15 décembre – 17h00-19h00
17h00-17h30 : Paolo Vignola (philosophe)
17h30-18h00 : Glenn Loughran (artiste et éducateur)
18h00-18h30 : Disnovation (artistes)
18h30-19h00 : Discussion
Session 3 : Réconciliation du territoire au cœur des milieux vivants
Animée par Vincent Loubière (IRI / Odyssee.co)
S’extraire du simplisme moderne et industrialiste pour rassembler les variables et embrasser pleinement la complexité, la subtilité et l’élégance de notre milieu, tel est le défi auquel fait face le aujourd’hui le génie humain. L’approche systémique et bio-compatible apparait désormais comme une révision essentielle de notre logiciel cognitif et analytique, fondement d’un nécessaire Nouveau Génie Urbain pour non plus aménager mais bel et bien emménager des espaces de vie durable au sein même du système terrestre et vivant. Aujourd’hui au seuil d’un basculement du contexte sociotechnique, nous proposons de naviguer à travers les échelles pour saisir ce nouveau paradigme, pour porter le regard critique aux errances du passé, pour observer avec enthousiasme les nouveaux horizons.
Vendredi 16 décembre – 10h00-12h30
10h00-10h25 : Christelle Larrieu
(Chargée de mission synthèses environnementales)
10h25-10h50 : Aristide Athanassiadis (urbaniste)
10h50-11h15 : Guillaume Faburel (géographe)
11h15-11h40 : Anne Asensio (désigner)
11h40-12h30 : Discussion
Session 4 : Grammatisation et savoirs : modifications de notre rapport à l’environnement et à l’alimentation
Animée par Vincent Puig (IRI)
La vie technique comme geste d’invention avec les machines chez Simondon repose à la suite de Canguilhem, sur notre capacité à maitriser la normativité des organes vivants et techniques pour pouvoir en prendre soin. Cette condition pharmacologique procède d’une longue histoire des processus de catégorisation et de grammatisation qui fondent les gestes, la parole, les langages, l’écriture et les techniques et par conséquent nos savoirs biologiques, techniques ou sociaux. Dans cette session, inspirée de la pensée (ex-)organologique de Bernard Stiegler, nous examinerons ces processus dans le temps et dans l’espace et comment ils sont aujourd’hui un enjeu pour la capacitation, le développement et la pratique des savoirs liés au vivant, au biologique, et à l’alimentation.
Vendredi 16 décembre – 14h00-17h00
14h00-14h30 : Invité d’honneur
Gilles Clément (paysagiste et écrivain)
14h30-15h00 : Christophe Lavelle (biophysicien)
15h00-15h30 : Jean-Michel Sorba (agronome) et Ghjacumina Aquaviva-Bosseur (anthropologue)
15h30-16h00 : Sarah Czerny (anthropologue)
16h00-16h15 : Laurent Monnet (Plaine Commune)
16h15-16h30 : Stéphane Gigandet (Open Food Facts)
16h30-17h00 : Discussion
Table ronde : « Bifurquer »
Organisée en collaboration avec l’association des amis de la génération Thunberg
L’appel à « Bifurquer », lancé par des étudiants d’Agro Paris-Tech à leur cérémonie de diplôme, a été suivi par un mouvement plus large d’étudiants et de chercheurs, qui ont appelé à la désertion d’activités absurdes et néfastes pour le vivant. Critiques du greenwashing et du solutionnisme technologique, de nouvelles générations d’ingénieurs et de scientifiques cherchent encore des voies pour faire bifurquer le système techno-économique (c’est-à-dire, industriel), au-delà de leurs seules carrières individuelles. Comment opérer des transformations dynamiques de ce
système, au-delà de la fausse alternative entre désertion et compromission ? Quelle « stratégie des bords » pourrions-nous collectivement envisager, si l’on reprend un concept de Bernard Stiegler : des bords tout à la fois transitionnels, existentiels et inventifs de la macrostructure, capables de la faire bifurquer dans son centre ?