Séminaire sur le vivant 2023-2024
Perpétuant les orientations impulsées par Jean-Jacques Kupiec lors de sa création, le séminaire Cavaillès se donne pour objet l'histoire et la philosophie des sciences du vivant. Une fois par mois un acteur des sciences expérimentales ou humaines est invité à y présenter ses travaux et réflexions. Le séminaire se veut ouvert à toutes et à tous, avec l'objectif de croiser les regards, partager les connaissances et favoriser les échanges sur un large spectre de thématiques et de questions. Il entend être le témoin de la vitalité, l'actualité et la fertilité des recherches en épistémologie historique des sciences biomédicales, ainsi que de leur incidence sur les débats scientifiques contemporains.
Adresse :
ENS - 45 ou 29, rue D'Ulm - Paris Ve
Organisé par
Maël Montévil (CNRS/RDS/Centre Cavaillès), Caroline Petit (CNRS/RDS/Centre Cavaillès) et Anton Robert (Ed540/RDS/Centre Cavaillès)
Présentation :
Dans la lignée des sessions précédentes, organisées par Jean-Jacques Kupiec, puis par Gérard Lambert et Thomas Heams, le séminaire sur le vivant du centre Cavaillès se donne pour objet les défis conceptuels de la connaissance du vivant, en articulant théorie et pratique. Une fois par mois, une chercheuse des sciences du vivant, de l'histoire ou de la philosophie de cette discipline, ou un praticien, est invité à y présenter ses travaux et réflexions.
Le séminaire se veut ouvert à toutes et à tous, avec l'objectif de croiser les regards, partager les connaissances et favoriser les échanges sur un large spectre de thématiques et de questions. Il entend être le témoin de la vitalité, de l'actualité et de la fertilité des recherches à la croisée des humanités et des sciences du vivant, pour en aborder autant les questions théoriques qu’elles portent que leur incidence sur les débats contemporains.
Mercredi 4 octobre 2023, Maël MONTÉVIL
18h-20h, salle DUSSANE -- 45, rue d'Ulm (RDC gauche) : « Inauguration du programme interdisciplinaire : fondations théoriques de la biologie »
Maël MONTÉVIL, CR CNRS, Centre Cavaillès, République des savoirs UAR3608 -- directeur du programme
Résumé : La biologie moléculaire a donné un cadre très fécond pour l'exploration empirique du vivant, mais ses résultats ont aussi et en même temps mis à mal son cadre conceptuel. Pour dépasser ce cadre, un certain nombre d'auteurs soulignent les défis théoriques que comporte la compréhension des êtres vivants dans leur historicité et organicité. Si l'on doit comprendre les êtres vivants comme des organisations biologiques, comment ne pas se perdre dans leur complexité ? Et si leurs régularités sont les résultat d'une histoire et continuent de changer, de produire une histoire, comment les objectiver ? Ces questions sont, nous le pensons, essentielles pour répondre aux défis de ce siècle concernant la santé et la biodiversité et croisent aussi la question de l'encadrement théorique de l'usage des nouvelles technologies dans le travail scientifique.
Dans ce contexte, nous inaugurons ici le programme interdisciplinaire : fondations théoriques de la biologie. Notre approche consiste à aborder les questions théoriques en s'appuyant sur la philosophie, notamment l'épistémologie ainsi que la comparaison avec les innovations mais aussi les contraintes théoriques d'autres disciplines, notamment la physique. En s'appuyant sur cette réflexivité, il s'agira à la fois de réinterpréter les pratiques existantes et de développer de nouvelles pratiques et méthodes.
15 novembre 2023, Lenny MOSS
16h-18h, Salle CAVAILLES -- 45, rue d'Ulm (1er étage)
The Gambit of Geist: Can a renewed Philosophical Anthropology transform our theories of social ontology, collective intentionality, the evolution of normativity and agency, and perhaps most critically, our grasp of contemporary social pathology?
Lenny MOSS, Professor, PhD, Investigador Visitante, Instituto de Investigaciones Filósoficas, Universidad Nacional Autónoma de Mexico
Résumé : I hope to adumbrate the basis of a renewed philosophical anthropology and highlight its implications in contrast to those of the more traditionally individualistic orientations put forward in recent highly influential big-story accounts of social ontology, collective intentionality, agency and normativity by John Searle and Michael Tomasello. I also want to thematize the urgency of seeking resources for better understanding contemporary social pathology and psychological irrationalism and provoke us to think about in which direction of analysis and theorizing are we more likely to find them.
13 décembre 2023, Alberto VIANELLI
16h-18h, Salle CAVAILLES -- 45, rue d'Ulm (1er étage)
Le changement de vision de François Jacob dans les années 1970 : de l'histoire de l'hérédité à l'historicité de l'évolution
Alberto VIANELLI, dipartimento di scienze teoriche e applicate, Universita degli studi dell'Insubria
Résumé : Beaucoup a été dit et écrit à partir de 2020 à propos du biologiste François Jacob et de son travail autour de l'histoire de l'hérédité qui a été l'objet du livre « La Logique du Vivant », sorti en France en 1970. Bien qu'il soit généralement reconnu que la notion centrale de « programme génétique » a été par la suite nuancée, voire rejetée, par Jacob lui-même, l'itinéraire menant à ce changement d'accent n'a pas attiré beaucoup d'attention, avec des exceptions notables. Co-protagoniste majeure de ce changement a été la thématique évolutive. En nous appuyant largement sur des documents d'archives, et plus particulièrement sur les voyages de Jacob aux États-Unis à la fin des années 1960 et dans les années 1970, nous aimerions reconstituer cet itinéraire complexe, retraçant » l'évolution d'un généticien » (pour rappeler le titre du livre de Conrad Waddington). Nous suggérons que le rôle des contacts avec les collègues américains, à partir de Gunther Stent, ne peut être surestimé, tant dans la conception de » La logique du vivant » que dans les développements intellectuels qui ont suivi.
17 janvier 2024, Miguel BENASAYAG
16h-18h, Salle CAVAILLES -- 45, rue d'Ulm (1er étage)
La centralité épocale de la question de l'organicité
Miguel BENASAYAG, psychanalyste et philosophe
Reporté -- 28 février 2024, Johannes JÄGER
16h-18h, Salle Camille MARBO (U205) -- 29, rue d'Ulm (2ème étage)
Life beyond Computation and Formalization
Johannes JÄGER, philosophe, biologiste des systèmes, Complexity Science Hub (CSH), Vienna
20 mars 2024, Mathilde TAHAR
16h-18h, Salle Camille MARBO (U205) -- 29, rue d'Ulm (2ème étage)
L'agentivité biologique comme inventivité : repenser le rôle des organismes non-humains dans l'évolution
Mathilde TAHAR, philosophe de la biologie, ATER Université de Lille, laboratoire STL (UMR 8163 -- CNRS)
Résumé : Pendant longtemps, la théorie orthodoxe de l’évolution a considéré les organismes comme des compromis entre le déterminisme génétique et les pressions sélectives. Mais, depuis quelques décennies, cette conception fait l’objet de nombreuses critiques, mettant notamment en avant le rôle actif joué par les organismes dans la lutte pour l’existence, et donc dans l’évolution. Ces nouvelles approches ont conduit les évolutionnistes à utiliser le concept d’agentivité biologique, importé des théories organisationnelles. Dans ces théories, le concept d’agentivité sert à rendre compte de la cohésion des activités internes de l’organisme, guidées par une finalité interne. Transposée à l’évolution, l’agentivité est alors conçue comme la faculté, pour les organismes, de choisir leur action en fonction de leurs buts naturels (choix qui est pensé comme non intentionnel). Néanmoins, cette interprétation présente deux écueils. D’une part, elle limite l’agentivité des organismes en confinant leur choix dans les limites d’un répertoire comportemental, et en supposant que leurs objectifs sont dictés par la sélection naturelle. D’autre part, cette conception, tout en prétendant éliminer l’idée d’intentionnalité, en conserve la structure : les organismes sont présentés comme des entités rationnelles, poursuivant des objectifs spécifiques. Ceci nous ramène à une pensée téléologique, dont l’utilisation dans la théorie de l’évolution a déjà été fortement critiquée. Mon objectif est au contraire de développer une conception de l’agentivité capable d’intégrer l’inventivité des organismes, y compris non humains, sans leur attribuer des intentions orientées vers des buts. Cette nouvelle approche se veut plus adaptée à la biologie évolutive et pertinente aussi bien pour les éthologues que pour les théoriciens de l’évolution. Pour ce faire, après avoir montré les limites de la formulation actuelle du concept d’agentivité biologique pour penser l’évolution, je présenterai les défis rencontrés par la théorie de l’évolution aujourd’hui. C’est en effet en partant de ces défis et des apports théoriques qu’ils requièrent que je vais concevoir un concept d’agentivité proprement évolutif et analyser les différentes formes de cette agentivité. Cette étude me conduira à étudier aussi bien le jeu animal, que la construction de niche, et l’innovation biologique.
24 avril 2024, Jacques FANTINI
16h-18h, Salle Camille MARBO (U205) -- 29, rue d'Ulm (2ème étage)
Repenser la biologie à partir de paramètres fondamentaux trop souvent négligés
Jacques FANTINI, professeur de biologie, Université d'Aix-Marseille, UNIS UMR_S 1072
Résumé : Définir la vie est une tâche ardue qui suscite bien des débats chez les philosophes et les scientifiques depuis des siècles. Or la biologie souffre d'un manque de définition claire, plaçant les biologistes dans la situation paradoxale où l'on peut décrire au niveau atomique des objets complexes qui restent globalement mal définis. On pourrait supposer que de telles descriptions permettent de caractériser parfaitement les systèmes vivants. Cependant, de nombreux cas d'interprétation erronée relativisent cette hypothèse. Dans cet exposé, je mettrai l'accent sur des paramètres fondamentaux qui sont minimisés voire totalement ignorés dans les ouvrages de biologie destinés aux étudiants : l'eau, l'entropie, les dimensions spatiale et temporelle, les propriétés quantiques et le potentiel électrostatique. D'où vient la structure hélicoïdale de l'ADN, pourquoi la reproduction des organismes vivants ne peut se faire sans mutations, quelles sont les limites du code génétique, pourquoi toutes les protéines n'ont pas une structure tridimensionnelle stable : autant de questions qui ne peuvent être résolues sans tenir compte des paramètres mentionnés ci-dessus. En effet, sans prétendre à l'exhaustivité : i) le temps et l'espace contraignent de nombreux mécanismes biologiques qui nécessitent des solutions efficaces propres aux systèmes vivants (enzymes, transporteurs), ii) l'eau contrôle la fidélité de la réplication de l'ADN et l'équilibre structure/désordre des protéines, iii) l'entropie intervient fréquemment dans les interactions moléculaires et dans de nombreuses réactions enzymatiques, iv) les mécanismes quantiques expliquent pourquoi une molécule aussi simple que l'acide cyanhydrique (HCN) préfigure la double hélice de l'ADN, pourquoi des mutations se produisent, et comment le champ magnétique terrestre peut déterminer la migration des oiseaux (boussole quantique), v) le potentiel de surface contrôle les mécanismes épigénétiques, l'analogie ADN/membrane et les interactions agent pathogène-hôte. La prise en compte de ces paramètres fondamentaux est essentielle pour mieux comprendre ce qu'est la vie et comment elle gère l'ordre et le chaos à travers une combinaison de mécanismes génétiques et épigénétiques.
15 mai 2024
16h-18h, Salle Camille MARBO (U205) -- 29, rue d'Ulm (2ème étage)
Disruption et vulnérabilité des organisations biologiques
Maël MONTÉVIL, CR CNRS, Centre Cavaillès, République des savoirs UAR3608
12 juin 2024
16h-18h, Amphi Evariste GALOIS -- 45, rue d'Ulm (étage -1)
Vitalisme matérialiste, vitalisme spiritualiste
Charles Wolfe, professeur de philosophie, Université de Toulouse Jean Jaurès, Équipe de Recherche sur les Rationalités Philosophiques et les Savoirs (ERRAPHIS)
Résumé : Les organismes, comme les zombies, les chevaliers Jedi presque disparus ou, peut-être plus gentiment, comme un personnage de théâtre qui ne cesse de quitter la scène puis d’y revenir d’une manière ou d’une autre, ne cessent de faire leur « retour » ou leur « renaissance » dans la pensée bio-théorique et bio-philosophique. La plupart du temps, ils reviennent en tant qu’éléments clés de fières revendications empiriques visant à « renverser le mécanisme » ; des revendications de vérité, en fait : les organismes sont x, sont définis par les propriétés y et z, et ainsi de suite. J’ai essayé d’atteindre une certaine distance critique (amicale) sur de telles affirmations de vérité littérale sur les organismes dans des travaux antérieurs (Wolfe 2010, 2014, 2023b), mais ce n’est jamais une question clairement résolue, pour au moins deux raisons. Tout d’abord, parce que le point de vue fortement opposé – une sorte d’approche pragmatique et constructiviste du type « le beau est comme le beau fait », dans ce cas approchant les organismes comme des constructions heuristiques – semble laisser quelque chose de côté ; une partie de leur «matérialité vitale», peut-être, qui est caractéristique des systèmes biologiques. Deuxièmement, parce que les définitions empiriques ne cessent de changer (l’organicisme de Claude Bernard est différent de celui de Francisco Varela, et tous deux sont différents de la métaphysique de l’organisme de Hegel ou de Hans Jonas ; c’est un point de désaccord entre moi et les défenseurs acharnés de l’organicisme qui le considèrent comme monolithique). Mais il y a une autre façon dont les organismes peuvent revenir et reviennent : en tant que ce que l’on pourrait appeler des créateurs de sens (suivant une ligne d’enquête souvent associée à la recherche Umwelt de Jakob von Uexküll). C’est une approche très différente des organismes, de leur existence et de ce qui les fait fonctionner que de dire qu’ils sont définis par le métabolisme ou la fermeture organisationnelle, et de dire qu’ils sont définis par la production de sens (et la réactivité au sens). Cette approche a un parfum biosémiotique certain, mais au lieu de réitérer ces analyses, je l’explorerai sur la base des idées d’Uexküll, de Kurt Goldstein, de Georges Canguilhem. Dans ce contexte, les organismes présentent une certaine ressemblance avec le récit de « l’organisme en tant que figure de la subjectivité », bien connu de la tradition idéaliste et romantique allemande (que Canguilhem, en 1947, voulait « ramener » dans le travail biophilosophique : Canguilhem 1947a, Wolfe 2024) ; cependant, ils ont une qualité processuelle, performative qui les rend moins fondateurs ou internalistes ; moins comme le corps propre de la phénoménologie incarnée et/ou enactiviste qui est définie par sa subjectivité (Wolfe 2023a). Espérons que le retour des organismes en tant que créateurs de sens ne soit ni une tragédie ni une farce.