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Temps biologique et transitions critiques étendues - Vers une objectivation de l’état vivant de la matière

Abstract

Cette thèse se place dans le contexte d’une démarche théorique en biologie, s’inspirant, sans toutefois s’y réduire, des méthodes d’objectivation utilisées en physique. Pour cela, nous rapportons les possibles symétries et invariants biologiques sous forme de “lois d’échelles” empiriques (allométrie et fractales en particulier), ainsi que la variabilité associée. Nous abordons ensuite plusieurs aspects du temps biologique. Nous considérons une dimension temporelle supplémentaire, correspondant à l’autonomie de certains rythmes biologiques. Nous développons aussi une approche de la protension, comme principe d’organisation locale de la temporalité biologique.
La notion de symétrie ayant un statut fondationel pour les théories physiques, nous interrogeons ensuite leur rôles en biologie. Partant de la notion de criticité étendue, nous proposons que la dynamique du vivant soit régie par une omniprésence des changements de symétries, constituant dès lors une historicité irréductible et conférant un statut théorique particulier à l’object et à la mesure en biologie. Nous appréhendons aussi la notion d’anti-entropie comme mesure d’un potentiel de variabilité.
Nous nous intéressons ensuite à la question des niveaux d’organisation, par deux voies complémentaires. Nous l’abordons dans un premier temps par la notion de clôture organisationnelle. Ensuite nous la considérons comme associée à des singularités fortes, telles que dans les situations critiques. Enfin, nous esquissons un schème opératoriel de l’unité de l’organisme, qui combine un grand nombre des aspects préalablement exposés.

Keywords: criticité, symmétries, historicité, variabilité, temps biologique, organisme, mesure, renormalisation


Temps biologique et transitions critiques étendues

Vers une objectivation de l'état vivant de la matière

Présentée et soutenue par

Maël Montévil

soutenue le 7 octobre 2011

Thèse dirigée par Giuseppe Longo

préparée au LIENS, École Normale Supérieure de Paris

Jury

Directeur:

  • Giuseppe Longo - CNRS, ENS

Rapporteurs:

  • Alessandro Sarti - CNRS, Polytechnique
  • Carlos Sonnenschein - Tufts University

Examinateurs:

  • Stéphane Douady - CNRS, Paris VII
  • Paul-Antoine Miquel - Universite de Nice
  • Rémy Mosseri - CNRS, Paris VI
  • Denis Noble - Oxford University
  • Nadine Peyriéras - CNRS

Résumé

Cette thèse se place dans le contexte d'une démarche théorique en biologie, s'inspirant, sans toutefois s'y réduire, des méthodes d'objectivation utilisées en physique. Pour cela, nous rapportons les possibles symétries et invariants biologiques sous forme de “lois d'échelles” empiriques (allométrie et fractales en particulier), ainsi que la variabilité associée. Nous abordons ensuite plusieurs aspects du temps biologique. Nous considérons une dimension temporelle supplémentaire, correspondant à l'autonomie de certains rythmes biologiques. Nous développons aussi une approche de la protension, comme principe d'organisation locale de la temporalité biologique.

La notion de symétrie ayant un statut fondationel pour les théories physiques, nous interrogeons ensuite leur rôles en biologie. Partant de la notion de criticité étendue, nous proposons que la dynamique du vivant soit régie par une omniprésence des changements de symétries, constituant dès lors une historicité irréductible et conférant un statut théorique particulier à l’objet et à la mesure en biologie. Nous appréhendons aussi la notion d'anti-entropie comme mesure d'un potentiel de variabilité.

Nous nous intéressons ensuite à la question des niveaux d'organisation, par deux voies complémentaires. Nous l'abordons dans un premier temps par la notion de clôture organisationnelle. Ensuite nous la considérons comme associée à des singularités fortes, telles que dans les situations critiques. Enfin, nous esquissons un schème opératoriel de l'unité de l'organisme, qui combine un grand nombre des aspects préalablement exposés.

Mots clés: criticité, symmétries, historicité biologique, variabilité, temps biologique, organisme, mesure, renormalisation

Biological time and extended critical transitions

Towards an objectivization of the living state of matter

Abstract

This work takes place in the context of a theoretical approach in biology which uses the examples of objectivation in physical theories without reducing biological phenomenalities to them.
We begin by investigating the empirical biological scaling relationships found in the literature (allometric relationships, fractals, …), including their variability. We will then consider two different aspects of biological time. First, we will develop the notions of protension and retention as an account of local organization of biological time. Then we consider a supplementary temporal dimension to accommodate proper biological rhythms.

Since the notion of symmetry plays a foundational role in physics, we investigate its possible role in biology. In relation with the notion of extended critical transitions, we propose the hypothesis that organisms and evolution can be understood as characterized by ubiquitous symmetry changes. This transforms the status of biological objects, provides an approach of their historicity and leads to propositions on the theoretical nature of biological measurement. We also discuss anti-entropy as a measurement of a potential of variability.

We focus then on the notion of level of organization. We start from the notion of organizational closure, which is considered as a core biological invariant by many theoretical biologists. Then, we will approach levels of organization by the paradigm of criticality, which will allow to define them in a strong theoretical way.
Finally, we sketch an operatorial scheme of the coherence of organisms, which combines most of the above mentioned approaches.

Keywords: criticality, symmetries, biological historicity, variability, biological time, organism, measurement, renormalization

Préface

L'une des idées à l'origine de cette thèse est une certaine insatisfaction vis-à-vis des approches mathématisées du vivant. S'il est clair qu'elles apportent généralement une contribution unique à l'intelligibilité des phénomènes, il me semble en effet qu'elles manquent en générale l'originalité des phénomènes vivants, en les traitant, in fine, comme des objets de type physique.

Pendant mon Master 2 de sciences cognitives, cet aspect des choses m'a particulièrement frappé, lors des cours de Jean Petitot sur l'approche géométrique du cortex visuel primaire. Cette modélisation est lumineuse, elle donne sens à la structure du cortex et s'articule à bon nombre d'observations expérimentales : sa contribution à l'intelligibilité de la situation biologique est indéniable (et élégante). Pourtant, la compréhension qu'elle propose des phénomènes me semblait particulièrement éloignée de l'appréhension propre que les neurobiologistes, participant à la même série de cours, pouvaient avoir. Cette appréhension insistait en effet sur la diversité, l’ambiguïté en un sens, des situations biologiques ainsi que sur l'intégration, de V1 ici, dans un cadre plus vaste (par les rétroactions diverses entre parties du cerveau, à toutes les échelles). Cette situation de ``dissonance cognitive'' se retouvait dans d'autre situations, telle que l'approche par des méthodes physiques de la dynamique des microtubules, dont j'ai eu le plaisir de pouvoir discuter avec Éric Karsenti.

Les recherches de Francis Bailly et Giuseppe Longo touchaient justement à cette question, en interrogeant les structures de l'intelligibilité mathématique et physique, et en proposant l'idée de la singularité physique du vivant. Cette thèse est, dans cette filiation, en partie une tentative d'intelligibilité constructive de ce problème.